La notation positive (dites aussi « notation école des
fans ») est donc la dernière lubie éducative des grands malades qui nous
gouvernent. On peut à juste titre être consterné et révolté par tant de
démagogie, de bêtise, et d’indifférence vis-à-vis des conséquences que ces « notes
positives » ne manqueront pas d’avoir sur un grand nombre d’enfants, mais
il convient aussi de remettre un peu les choses en perspectives. Cette histoire
de « positivation » est déjà ancienne, et notre actuel ministre de l’éducation
nationale ne vient que de descendre une marche supplémentaire vers les abîmes,
apparemment sans fond, de l’abêtissement collectif, laïque et obligatoire.
J’en veux pour preuve ce passage tiré du livre Collèges de France, de Mara Goyet,
publié en… 2003.
Les bulletins avec leurs couleurs d’encre et leurs écritures
variées n’ont plus cours dans mon collège. Ils sont désormais informatisés. On
les remplit chez soi, ce qui est évidemment plus pratique. On ne passe plus ces
interminables fins d’après-midi en salle des profs à attendre qu’un collègue
ait terminé de remplir une classe qu’il partage avec vous. En revanche on ne
peut plus voir ce qu’écrivent les autres ce qui s’avérait être une grande
source d’inspiration et de progrès dans la rhétorique bulletinesque. On écrit à
la maison, loin de l’ambiance du collège, du bruit des élèves. On rédige hors
contexte.
On s’efforce aussi de se conformer aux normes édictées par
Ségolène Royal dans le Bulletin Officiel du 15 juillet 1999. (Je ne sais si
cela relève du hasard, mais les BO les plus niais sortent souvent en juillet.
Quand le professeur randonne joyeusement.) Elle nous enjoint ainsi d’éviter les
formules vagues, réductrices et humiliantes. Il s’agit d’endiguer la folie
meurtrière de l’enseignant qui, sans doute, ne manquait pas jusque-là
d’inscrire sur le bulletin : « nul à chier », « peut
peu », « ferait mieux de mourir » ou « élève qui n’a rien
pour lui. Le ton est donné par cette phrase : « La sévérité, pour
être utile, doit être associée à un regard positif et prospectif. » « Positif »
est le mot fétiche de l’Education nationale qui, s’épuisant dans une quête sans
fin de la positivité, cherche à en injecter là où elle le peut. Nous émettons l’hypothèse
que l’emploi du terme « positif » doit plus aux magasins Carrefour qu’à
Auguste Comte. Le terme « prospectif », quant à lui, indique qu’il
faut se tourner vers l’avenir et non ressasser le douloureux passé d’un
trimestre, qu’il faut sortir des petites rancunes et des aigreurs. En un mot,
il faut oublier. Le bien et l’espoir sont comme les dieux tutélaires du
bulletin. Le bulletin est comme la vitrine dorée de l’éducation nationale.
Notre tâche est alors de valoriser les efforts, de donner
des conseils pour progresser (des trucs sophistiqués et inédits, qui demandent
l’avis d’un spécialiste, comme travailler, faire ses devoirs, écouter en
cours). Il nous faut ensuite prendre en compte les compétences « qui ne
portent pas directement sur les performances scolaires : sens de l’initiative,
autonomie, prise de responsabilité, travail fourni ». Il ne manque plus
que sympa, souriant, capable de se dénoncer, met une bonne ambiance, véritable
cordon-bleu, jolie, rigolo. Après avoir bien « positivé » on s’attaque
donc à la personnalité de l’intéressé, ce qui relève, naturellement, de nos
attributions et semble être considéré comme éminemment respectueux vis-à-vis de
l’élève. Tout se passe comme si le ministère craignait d’envisager l’idée que
certains n’ont rien pour eux. Comme s’il cherchait, avec une apparente
gentillesse, à chasser de mauvaises pensées que les profs, quotidiennement en
contact avec les élèves, ne partagent pas. Comme s’il était effrayé par sa
propre « négativité » et avait peur que les choses soient dites. Il enjoint
ainsi de les formuler plus positivement, certes, mais peut-être aussi plus
cruellement et définitivement (on est loin du positif et du prospectif).
Grâce à ces conseils avisés, nous pourrons expliquer à un
élève qu’il a positivement une moyenne qui monte vers le bas, lui délivrer les
secrets de la réussite (bosser un peu) et conclure par une petite remarque sur
son formidable sens de la vie en collectivité et de l’animation (foutre le
bordel en cours, par exemple). On retrouve ici, comme souvent dans l’Education
nationale, ce mélange assez pernicieux de nunucherie et de cruauté, de bonne
conscience et d’impensé, de niaiserie et d’agressivité, de subtilité apparente
et de balourdise profonde.
Je me demande si à la place du rouge qui montre un échec positif, le rose ne serait pas mieux car quand il s'agit de positiver sur une cagade monstrueuse, le rose socialiste convient parfaitement.
RépondreSupprimerTu as un zéro mon enfant, soit positif tu aurais pu avoir moins dix, tout va bien, et là il est content le mioche!
Quelques bibliothèques en ligne :
RépondreSupprimerhttp://www.freepdf.info
http://www.balderexlibris.com
http://www.histoireebook.com
http://www.aryanalibris.com
http://www.pdfarchive.info
http://www.the-savoisien.com